Dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), à la frontière avec le Burundi, le Rwanda et l'Ouganda, la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23) contre le gouvernement de la RDC s'est rapidement propagée. La violence a aggravé la situation humanitaire dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, avec plus de 2,5 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays dans la seule province du Nord.
Le M23 contrôle plusieurs territoires et villes du Nord-Kivu et tente d'étouffer la capitale provinciale, Goma. Le conflit s'est étendu au Sud-Kivu, augmentant les tensions communautaires. Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) se retire progressivement du Nord et du Sud-Kivu.
La propagation de maladies, y compris la épidémie de MPOX, accroissent les souffrances et l'ampleur du défi auquel sont confrontés les acteurs humanitaires et les autorités. Comment la réponse au mpox, avec l'arrivée des vaccins en RDC, peut-elle faire face à cette situation ? polycrise?
Exploration du contexte de la réponse
Le 30 août 2024, le Groupe d'Etudes sur les Conflits et la Sécurité Humaine (GEC-SH), partenaire de la Plateforme des Sciences Sociales dans l'Action Humanitaire (SSHAP), a organisé un atelier à Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, pour examiner l'état actuel de la crise humanitaire et sécuritaire dans la province comme contexte d'une réponse urgente à l'actuelle épidémie de mpox.
L'atelier, auquel ont participé des représentants du gouvernement provincial, de la société civile et des chercheurs, avait pour objectif de répondre aux préoccupations suivantes :
- Analyser les facteurs sous-jacents aux défis auxquels est confrontée l’aide humanitaire six mois à un an après le départ de la MONUSCO de l’est de la RDC.
- Analyser les moyens utilisés par les ONG pour surmonter les défis auxquels elles sont confrontées dans une zone où elles sont prises entre le feu des acteurs armés, la méfiance du gouvernement et la nécessité d’intervenir pour les victimes.
- Comprendre le rôle des autorités locales dans la protection des personnes déplacées et des ONG.
- Proposer des solutions pour contourner les défis tant pour les ONG que pour les gouvernements nationaux et provinciaux.
- Identifier l’ampleur de la propagation du mpox au Sud-Kivu et les risques de sa propagation à l’échelle régionale.
- Proposer des stratégies aux gouvernements nationaux et provinciaux pour combattre et éradiquer le mpox.
- Examiner les conditions préalables à une éventuelle campagne de vaccination contre le mpox dans un environnement social et culturel marqué par des crises multiformes et des conflits répétés.
Au travers de présentations et de discussions, les participants à l’atelier ont identifié plusieurs problématiques concernant la situation actuelle.
Un vide en matière de sécurité et d’infrastructures
Le retrait de la MONUSCO du Sud-Kivu a eu des conséquences sécuritaires évidentes : des barrages routiers tenus par des militaires et d'autres acteurs armés sont de retour, des actes d'enlèvement ont repris dans la plaine de la Ruzizi au Sud-Kivu, et certaines organisations humanitaires ont été attaquées par des acteurs armés.
Même si l’impact de la MONUSCO est remis en question, le retrait de cette structure onusienne signifie une perte de revenus pour les travailleurs humanitaires locaux et pour d’importantes infrastructures logistiques. Par exemple, en cas de campagne de vaccination contre le mpox, la campagne de vaccination sera confrontée à un sérieux défi sans la logistique de la MONUSCO pour assurer la mobilité des équipes de vaccination et pour acheminer les vaccins vers et depuis les entrepôts – des problèmes qui ont été rencontrés au Sud et au Nord-Kivu pendant la pandémie de COVID-19.
Le vide sécuritaire laissé par la MONUSCO est actuellement occupé par les Wazalendo (groupes armés associés aux forces armées gouvernementales), ou par les forces locales d’autodéfense (groupes de justiciers au service de certains chefs locaux), ou encore par les Balala rondo (organisations de jeunes impliquées dans la sécurisation).
Cette diversité d’acteurs implique que l’accès aux zones rurales affectées par le conflit et l’épidémie de mpox doit être négocié, comme à Kamitunga, Kalonge et Kakonge. La présence de groupes armés étrangers dans la zone (en particulier dans la plaine de la Ruzizi) pourrait également agir comme un accélérateur de la propagation transfrontalière du mpox.
Mpox et les communautés
L'épidémie de mpox continue de se propager. 85% des zones de santé sont déjà touchéesLes populations rurales ne sont pas suffisamment informées du danger représenté par le virus, des mesures barrières à appliquer, ni de la nécessité de participer à une éventuelle campagne de vaccination.
Les perceptions locales du mpox – notamment qu’il s’agit d’une forme de sorcellerie, que la maladie a toujours existé dans la région, qu’il s’agit d’une maladie des travailleuses du sexe, que les remèdes traditionnels sont efficaces et que les Occidentaux cherchent une autre occasion de nous exterminer avec leurs vaccins – ne sont pas susceptibles de faciliter une campagne de vaccination.
En raison du manque de communication sur le mpox, la résistance de la communauté se développe déjà et de nombreuses personnes touchées ne se rendent pas à l’hôpital par peur d’être stigmatisées.
Actions nécessaires
Les participants à l’atelier sont parvenus à un consensus sur un ensemble d’actions clés nécessaires dans le cadre d’une réponse urgente :
- Il est urgent d'engager le gouvernement dans la sécurisation des zones « abandonnées » par la MONUSCO. Une équipe interprovinciale de transition devrait prendre le relais de la MONUSCO. Malheureusement, cette équipe n'a jamais fonctionné.
- Médecins Sans Frontières devrait jouer un rôle central dans l’organisation et la coordination des organisations humanitaires opérant dans les zones touchées par le mpox car elle dispose d’une expérience avérée de déploiement dans des zones isolées et hostiles.
- Une campagne de pré-vaccination contre le mpox est nécessaire. L’implication de leaders d’opinion respectés dans leurs communautés est essentielle, notamment les chefs traditionnels, les chefs religieux, les professionnels de la santé et les organisations de la société civile.
- Les chercheurs en sciences sociales et les ONG doivent travailler ensemble au sein des communautés pour déconstruire les rumeurs et la désinformation entourant le mpox. Une telle équipe devrait analyser le contexte social et sécuritaire local, élaborer des messages culturellement sensibles et proposer des stratégies de déploiement pour assurer le succès de toute campagne de vaccination.
- La campagne de vaccination pourrait être rendue plus sûre grâce à une participation communautaire intensive soutenue par des organisations de la société civile. Des séances de dialogue participatif sécurisées dans les communautés où les membres de la communauté peuvent poser des questions et partager leurs expériences personnelles en matière de vaccination. La participation des femmes est essentielle à la campagne de sensibilisation.
- Une approche de santé publique fondée sur l’équité est nécessaire pour sensibiliser à l’importance de la vaccination comme moyen de parvenir à l’équité en matière de santé, encourager toutes les communautés à s’impliquer et guider le déploiement de campagnes de vaccination dans les zones les plus touchées et les plus vulnérables pour montrer que la vaccination est une priorité pour tous, sans discrimination.
Coordination régionale et plaidoyer
Les participants ont clairement indiqué qu’une réponse régionale à l’épidémie de mpox était essentielle. Il existe d’importants mouvements transfrontaliers entre le Rwanda et la RDC, ainsi qu’entre le Burundi et la RDC. Il existe un risque de propagation majeure dans toute la région.
Enfin, pour rendre le vaccin mpox disponible et accessible en RDC, les participants à l’atelier ont reconnu la nécessité d’un plaidoyer sur plusieurs fronts, s’appuyant sur des données épidémiologiques et économiques et sur des messages aux niveaux national, régional et mondial reflétant l’urgence en tant que crise humanitaire, économique et des droits de l’homme. Le plaidoyer devrait également se concentrer sur la nécessité de renforcer les capacités de diagnostic et d’assurer un approvisionnement durable en consommables de laboratoire pour soutenir la réponse au fil du temps.