UNICEF/UNI360094
Pour que les enfants continuent à être vaccinés, malgré le COVID 19, l'UNICEF a amené et stocké en toute sécurité près de millions de doses de vaccin à Abidjan. Ces vaccins protègent les enfants contre la polio, la rougeole et d’autres maladies potentiellement mortelles. Pour chaque enfant, la santé.
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De nombreuses inquiétudes et appréhensions sont au cœur de l’opinion publique africaine, face à la future vaccination contre le Covid, déjà bien avancée en Europe, aux États-Unis, en Russie, en Chine et en Inde¹.

De telles inquiétudes et appréhensions existent également dans les pays du Nord. Elles s'appuient en partie sur divers scandales imputés à l'industrie pharmaceutique (comme celui du médicament Mediator), et sur sa mauvaise réputation (« big pharma »), du fait de ses pratiques commerciales, des pressions puissantes et constantes qu'elle peut exercer. à exercer sur les médias et la politique, et sur le nombre de médecins dont il a acheté le silence et la complicité. Cette méfiance est aggravée par les théories du complot qui circulent largement sur les réseaux sociaux, même si elles peuvent être grotesques (par exemple, le Covid 19 n'existe pas, ou a été créé par Bill Gates pour inoculer à l'humanité des composants électroniques sous prétexte de vaccination…).

En Afrique, ces préoccupations et appréhensions sont également très présentes, mais d’autres facteurs les alimentent. Les comptes incertains de la colonisation française font leur retour. La médecine coloniale, par exemple, longtemps associée au despotisme des forces d’occupation, n’a pas laissé derrière elle des souvenirs uniquement positifs (le cas de Lomidine étudié par Lachenal en est un exemple). La méfiance postcoloniale généralisée à l'égard des pays occidentaux, accusés de vouloir gouverner et piller l'Afrique sous couvert de l'aider, joue également un rôle et est aggravée par les échanges déséquilibrés de matières premières et de produits manufacturés, l'arrogance affichée par les dirigeants français et américains. , des décennies d'influence et de contrôle français, ainsi que certains tests moléculaires clandestins qui, à un moment donné, utilisaient les Africains comme cobayes (le roman « Le jardinier constant » de John Le Carré, et l'adaptation cinématographique qui a suivi, sont à leur manière un en témoigne).

Sur fond de traumatisme bien réel et de méfiance justifiée, le Covid 19 devient l’objet de rumeurs incontrôlables, qui ne tiennent plus compte des faits avérés et qui s’éloignent de plus en plus des connaissances scientifiques. La santé, on le sait, est un terreau particulièrement riche pour générer de nouvelles croyances et, partout dans le monde, la médecine expérimentale est souvent négligée au profit d'une grande variété de potions magiques et de remèdes miracles. En Afrique, le professeur Raoult, qui promeut désormais un discours anti-vaccin et jouit d'un public impressionnant, ainsi que la prescription généralisée d'hydroxychloroquine dans les villes², en sont de bons exemples. Rappelons qu’en milieu rural, des rumeurs anti-vaccination se sont répandues régulièrement et largement, parfois sur des bases religieuses, accusant par exemple l’Occident de vouloir stériliser les femmes africaines sous couvert de les vacciner contre la méningite.

Les réseaux sociaux amplifient toutes ces rumeurs en diffusant constamment des informations non prouvées, déformées, fausses et alarmistes, pointant du doigt des théories du complot clandestines, des propos alarmistes, alimentant les soupçons et diffusant la paranoïa.

Ainsi, face à cette désinformation qui circule largement en Afrique, nous pensons qu'il est nécessaire d'établir sereinement ce que la science sait et ne sait pas sur la vaccination contre le Covid 19, afin de fournir des informations précises et de permettre un débat sérieux sur ce sujet. Ce texte n’est donc pas un article de recherche personnelle. Nous résumons ici, de manière convergente, les connaissances apportées par la presse scientifique internationale et qui font l'objet d'un large consensus parmi les spécialistes (virologues, épidémiologistes, infectiologues) du monde entier.

Les essais cliniques randomisés en double aveugle sont à la base de la plupart des progrès remarquables de la médecine moderne, qui se révèle de plus en plus « fondée sur des preuves ». Ils représentent le seul moyen de déterminer rigoureusement l’efficacité ou la sécurité d’une molécule, d’un médicament ou d’un vaccin. Aujourd'hui (beaucoup plus qu’avant), ils constituent l’un des domaines les plus contrôlés et les plus clairement définis du monde de la biomédecine. Les procédures de certification impliquées dans le processus de test (phase 1, phase 2, phase 3, phase 4) et lors de la mise sur le marché des médicaments sont devenues particulièrement rigoureuses dans les pays à revenu élevé. De telles procédures ont été observées pour les principaux vaccins anti-Covid actuellement disponibles (un vaccin britannique et deux américains ; il existe également un vaccin russe et un vaccin chinois, mais nous ne disposons pas de beaucoup d'informations précises à leur sujet ; un certain nombre d'autres vaccins sont actuellement en cours de test). Les essais de phase 3, réalisés chacun sur plusieurs milliers de personnes, ont tous eu lieu et notamment dans les pays les plus touchés (très peu ont été réalisés en Afrique). La phase 4, celle du suivi des personnes vaccinées (pharmacovigilance), est en cours, selon les modalités prescrites, dans tous les pays où le vaccin commence à être administré.

La rapidité avec laquelle le vaccin contre le Covid 19 a été développé est remarquable (un an contre trois ou quatre). Cela suscite donc des interrogations et des craintes. Cependant les procédures de certification ont été respectées ; cela peut être imputé à une réussite en biomédecine, et non à une recherche dangereuse et de mauvaise qualité. Cet exploit est dû à une mobilisation immense et sans précédent de ressources humaines et financières (les gouvernements des pays du Nord ont tous fourni d'énormes financements à des laboratoires, qui espèrent bien sûr faire fortune, mais qui doivent aussi rendre des comptes à ces pays et travailler sous la supervision stricte de nombreux experts internationaux). Cela s’explique également par l’existence de bonnes connaissances préalables sur le coronavirus (famille dont fait partie le Covid 19) et sur le développement récent de nouvelles techniques biologiques (utilisant l’ARN messager) adoptées pour les premiers vaccins mis sur le marché.

Il existe cependant deux maillons faibles, largement évoqués dans la presse spécialisée. D'une part, les essais de phase 3 se sont déroulés sur une durée beaucoup plus courte que la normale (quelques mois au lieu d'un an), ce qui ne permet pas de détecter d'éventuels effets indésirables à moyen terme. Cela dit, avec les vaccins, la grande majorité des effets indésirables apparaissent au cours des premiers mois. Cependant, nous ne pouvons pas exclure la possibilité que des effets négatifs se produisent au-delà de cela. De plus, les personnes ayant participé aux essais n'ont pas toujours été totalement représentatives de la population générale : peu de personnes âgées ont été incluses par exemple. Nous ne pouvons exclure la possibilité que l’efficacité des vaccins disponibles ou leurs effets indésirables varient en fonction de facteurs qui n’ont pas encore été suffisamment testés.

De plus, de nombreuses inconnues subsistent. L’efficacité durable du vaccin en fait partie : on ne sait toujours pas combien de mois il protège contre le Covid 19. De même, on ne sait toujours pas s’il sera efficace contre des mutations importantes du virus. Comme c’est le cas pour de nombreux vaccins, des réactions allergiques mineures ou majeures peuvent survenir chez certains sujets. Enfin, même s’il est établi que les vaccins à ARN messager protègent efficacement les personnes vaccinées contre les effets du Covid 19, on ne sait toujours pas avec certitude s’ils empêchent de manière significative la transmission du virus par ces personnes vaccinées. Plus généralement, comme toute technique génétique, la technique génétique des ARN messagers suscite parfois des inquiétudes, mais pour les spécialistes, ces techniques médicales représentent l'avenir de la médecine et elles seront de plus en plus utilisées.

Malgré ces inconnues, et compte tenu des taux élevés de morbidité et de mortalité provoqués par le Covid 19 pour les populations à risque, il est absolument indispensable qu’elles soient vaccinées. Les risques de complications graves, voire de décès, pour les individus souffrant de formes graves du Covid 19, sont infiniment plus élevés que le risque (relativement faible) d’effets indésirables en cas de vaccination. De même, les conséquences graves d'un développement spontané de l'épidémie jusqu'à ce que l'immunité collective soit atteinte dépassent de loin les problèmes posés par un programme de vaccination de masse qui devrait permettre d'atteindre cette immunité collective beaucoup plus rapidement et avec beaucoup moins de décès. En d’autres termes, tant au niveau individuel que collectif, la vaccination est hautement souhaitable à l’échelle mondiale. Le rapport bénéfice/risque pèse largement en sa faveur.

Même si l’Afrique, relativement épargnée par rapport au reste du monde, n’est pas à l’abri d’une seconde vague, plus grave (comme c’est déjà le cas au Maroc ou au Mali). Bien que sa population soit plus jeune et donc moins susceptible de développer des formes graves de la maladie, les individus à risque sont nombreux (forte prévalence de l’hypertension et du diabète), et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables, d’autant que les mesures de protection sont généralement très rarement observées. Il y a bien sûr moins de décès en Afrique qu'en Europe (les chiffres rapportés sont cependant bien inférieurs aux chiffres réels), mais chaque décès est un décès de trop, et le nombre va encore augmenter même si ces décès sont évitables à l'avenir grâce aux vaccins. Le paludisme tue effectivement beaucoup plus de personnes que le Covid 19, mais ce n’est pas une raison pour abandonner les victimes potentielles du Covid à leur sort.

Les vaccins qui doivent être administrés en Afrique sont les mêmes que ceux utilisés dans les pays développés. Deux réseaux de distribution sont actuellement en cours de mise en place. L'une d'entre elles, Covax, regroupe diverses institutions internationales (avec en tête le Fonds Gavi, l'OMS, l'Union européenne et la Fondation Bill Gates) et commence dès à présent à acheter le vaccin britannique afin de le distribuer grâce à des subventions ( en totalité ou en partie) aux systèmes de santé en Afrique (le vaccin britannique a l'avantage d'être moins cher et de pouvoir être conservé à température ambiante). D’autres vaccins seront également bientôt disponibles, chacun avec ses caractéristiques spécifiques. D’un autre côté, la Chine et la Russie ont commencé à mettre leurs vaccins à la disposition des pays africains selon des conditions qui restent à déterminer. Les motivations géopolitiques et les considérations sanitaires seront ici entremêlées. Mais quoi qu’il en soit, l’accès gratuit et rapide pour tous les peuples d’Afrique à un vaccin efficace contre le Covid 19 est encore loin d’être garanti : c’est une cause qu’il faut avancer avec constance.

La vaccination en Afrique ne sera pas une tâche facile. Les systèmes de santé sont fragiles et mal équipés, et les zones rurales sont souvent isolées. Il faudra vacciner les adultes alors que les mesures actuelles ciblent majoritairement les enfants, les populations se méfient (non sans raison) des consignes gouvernementales et évitent les établissements de soins, le Covid 19 n'est pas une peur du quotidien (en général il est moins virulent, confondue avec un certain nombre d'infections respiratoires aiguës, largement sous-détectées faute de tests de masse, souvent asymptomatiques, et encore perçues, à tort, comme une maladie occidentale).

Seuls les ministères de la Santé des pays concernés sont directement en mesure d'élaborer une stratégie de vaccination adaptée à chaque contexte local. Il existe un certain nombre d’options et de voies possibles qui ne peuvent être imposées de l’extérieur. L'appui international (tant financier que technique) est certes indispensable, mais ne doit en aucun cas remplacer l'expertise au niveau national qui, à l'inverse, doit être développée. De même, la pharmacovigilance (phase 4) devrait être entreprise par les systèmes de santé locaux, et il faudrait soutenir le lancement d'une recherche vaccinale exhaustive par les laboratoires locaux et le suivi de la lutte contre l'épidémie par les chercheurs africains en sciences sociales. Vaccination, pharmacovigilance et recherche : bien plus qu'une simple mobilisation de ressources pour le Covid 19, c'est bien une opportunité, à travers la lutte contre cette épidémie, de renforcer les systèmes de santé dans leur ensemble dans leurs différents rôles et de lutter contre toutes les maladies. . L’objectif doit être de permettre une synergie des vaccinations plutôt qu’une compétition, en cherchant à améliorer les niveaux de soins tant curatifs que préventifs.

Face à ces peurs, rumeurs et doutes, il est absolument crucial que nous essayions de convaincre nos collègues et nos proches des avantages de la vaccination, jusqu'à ce qu'un médicament soit disponible : il permettra d'éviter un nombre considérable de décès. . Nous devons également nous rappeler ce que l’humanité (et l’Afrique) doit aux vaccins. Fièvre jaune, rougeole, méningite, polio, choléra : combien de millions de vies ont été épargnées ? C'est quelque chose que nous ne devons jamais oublier !

Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN
Chercheur au LASDEL, Professeur Associé à l'Université Abdou Moumouni (Niger)
Directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (France)

  1. Je tiens à remercier mes collègues qui m'ont apporté leurs commentaires et suggestions pour une première version de ce texte : Aïssa Diarra, Alice Desclaux, Fred Eboko, Richard Fardon, Frédéric Le Marcis, Elisabeth Paul, Louis Pizzaro, Laurent Vidal.
  2. Les essais cliniques randomisés menés sur l’hydroxychloroquine ont prouvé sans aucun doute que cette molécule n’avait aucun effet thérapeutique sur le Covid 19.