UNICEF/UNI356042
For children, continue to be vaccinated, despite COVID 19, UNICEF has brought in and safely store nearly millions of vaccine doses in Abidjan. These vaccines protect children from polio, measles and other life-threatening diseases. For every child, health.
UNICEF/UNI356042

Les réticences et les inquiétudes sont nombreuses au sein des opinons publiques africaines face à la future vaccination anti-Covid, qui a déjà commencé en Europe, aux USA, en Russie, en Chine et en Inde¹.

Ces réticences et ces inquiétudes existent aussi dans les pays du Nord. Elles reposent pour une part sur différents scandales qui ont mis en cause l’industrie pharmaceutique (comme le Médiator), et sur la mauvaise réputation de celle-ci (« big pharma »), en raison de ses pratiques commerciales, des fortes et incessantes pressions qu’elle exerce sur les médias et sur les décideurs, et des nombreux médecins dont elle a acheté la complicité ou le silence. La méfiance est amplifiée par les théories du complot qui circulent largement sur les réseaux sociaux, malgré le caractère délirant de ces dernières (par exemple la Covid 19 n’existerait pas ou aurait été créée par Bill Gates pour inoculer à l’humanité des composants électroniques sous prétexte de vaccination…).

En Afrique, ces réticences et inquiétudes sont aussi fortement présentes, mais sont en outre alimentées par des motifs supplémentaires. Les comptes non réglés de la colonisation française rebondissent. La médecine coloniale, par exemple, qui a eu partie liée avec le despotisme des occupants, n’a pas laissé que de bons souvenirs (le cas de la Lomidine étudié par Lachenal en est un exemple). La méfiance post-coloniale généralisée vis-à-vis des pays occidentaux, accusés de vouloir dominer ou piller l’Afrique sous couvert de l’aider, intervient également, alimentée par l’échange inégal entre matières premières et produits industrialisés, par l’arrogance dont font souvent preuve les dirigeants français ou américains, par des décennies de Françafrique, ainsi que par certaines expérimentations clandestines de molécules ayant pris autrefois des Africains comme cobayes (le roman de John Le Carré « La constance du jardinier », et le film qui en a été tiré, en témoignent à leur façon).

Sur ce fond de traumatismes réels et de méfiances justifiées, la Covid 19 devient l’objet de rumeurs incontrôlables, qui ne tiennent plus compte des réalités vérifiées et qui s’éloignent dramatiquement des acquis des sciences. La santé, on le sait, est un domaine particulièrement fertile pour les croyances, et, partout dans le monde, la médecine expérimentale est souvent délaissée au profit d’une grande variété de potions magiques et de remèdes miracles. L’audience remarquable en Afrique du professeur Raoult, qui profère désormais des discours antivaccin, et la prescription massive d’hydroxychloroquine dans les villes², en sont une illustration. Rappelons-nous aussi que, dans des contextes ruraux, on a assisté dans le passé à de récurrentes campagnes de rumeurs anti-vaccination, menées parfois sur des bases religieuses, accusant par exemple les Occidentaux de vouloir stériliser les femmes africaines sous couvert de les vacciner contre la méningite.

Les réseaux sociaux amplifient toutes les rumeurs, ils diffusent sans cesse des informations alarmistes, fausses, tronquées, non vérifiées, dénoncent des conspirations souterraines, attisent les peurs, alimentent les soupçons, distillent la paranoïa.

Aussi, face à cette désinformation qui circule massivement en Afrique, il nous semble nécessaire de faire le point sereinement sur ce que les sciences savent et ce qu’elles ne savent pas à propos de la vaccination contre la Covid 19, afin de permettre une information rigoureuse et des débats sérieux sur cette question. Ce texte n’est donc pas un article de recherche personnel, nous résumons ici des connaissances rapportées de façon convergente par la presse scientifique internationale et qui font l’objet d’un très large consensus chez les spécialistes (virologues, infectiologues, épidémiologistes) dans le monde entier.

Les essais cliniques randomisés en double aveugle sont à la base de la plupart des progrès spectaculaire de la médecine moderne, qui se veut de plus en plus « fondée sur des preuves ». Ils constituent le seul moyen de déterminer de façon rigoureuse l’efficacité ou l’innocuité d’une molécule, d’un médicament, d’un vaccin. Ils constituent aujourd’hui (bien plus qu’auparavant) l’un des domaines les plus balisés et contrôlés du monde biomédical. Les procédures de certification du processus d’expérimentation (phase 1, phase 2, phase 3, phase 4) et de mise sur le marché sont devenues particulièrement rigoureuses dans les pays à hauts revenus. Elles ont été respectées pour les principaux vaccins anti-Covid actuellement disponibles (deux vaccins américains et un vaccin anglais ; il existe aussi un vaccin russe et un vaccin chinois, mais on ne dispose pas encore d’informations précises à leur sujet ; de nombreux autres vaccins sont en cours d’expérimentation). Les essais de phase 3, chacun sur plusieurs milliers de personnes, ont tous eu lieu d’abord et surtout dans les pays concernés (très peu ont pris place en Afrique). La phase 4, le suivi des personnes vaccinées (pharmacovigilance), est en cours, selon les procédures prévues, dans tous les pays où le vaccin a commencé à être inoculé.

La rapidité de mise au point des vaccins contre la Covid 19 a été exceptionnelle (un an au lieu de trois ou quatre ans). Elle suscite donc des questions et des craintes. Pourtant les procédures de certification ont été respectées, et il s’agit d’une prouesse biomédicale et non d’une recherche bâclée et hasardeuse. Cette prouesse est due à une immense et exceptionnelle mobilisation de moyens humains et financiers (les pouvoirs publics au Nord ont partout préfinancé massivement les laboratoires, qui certes espèrent faire fortune, mais doivent également rendre des comptes aux Etats et travaillent sous haute surveillance de multiples experts internationaux). Elle est due aussi à l’existence de bonnes connaissances préalables sur les coronavirus (famille dont fait partie la Covid 19) et sur la mise au point récente de nouvelles techniques biologiques (utilisant l’ARN messager) adoptées pour les premiers vaccins mis sur le marché.

Il y a cependant deux maillons faibles, largement décrits dans la presse spécialisée. D’une part les essais en phase 3 se sont déroulés sur une période plus courte que d’ordinaire (quelques mois au lieu d’un an), ce qui n’a pas permis de détecter d’éventuels effets indésirables à moyen terme. Toutefois, en matière vaccinale, la grande majorité des effets indésirables interviennent dans les premiers mois. Mais on ne peut exclure que des effets indésirables rares se produisent au-delà. D’autre part, les populations ayant participé aux essais n’ont pas toujours été totalement représentatives de la population générale : les personnes âgées par exemple ont été peu incluses. On ne peut exclure que l’efficacité des vaccins disponibles ou leurs effets indésirables varient selon des paramètres qui n’ont pas été testés suffisamment.

D’autre part, de nombreuses inconnues subsistent. La durée d’efficacité du vaccin reste en est une : on ne sait pas encore pendant combien de mois il protège de la Covid 19. De même, on ne sait pas encore s’il sera efficace contre des mutations importantes du virus. Comme pour beaucoup de vaccins, des réactions allergiques plus ou moins fortes peuvent survenir chez certains sujets. Enfin, s’il est acquis que les vaccins à base d’ARN messager protègent efficacement les personnes vaccinées des effets de la Covid 19, on ne sait pas encore de façon certaine s’ils empêchent de façon significative la transmission du virus par les personnes vaccinées. Plus généralement, comme toutes les techniques génétiques, la technique génétique de l’ARN messager suscite parfois des inquiétudes, mais ces techniques apparaissent pour les spécialistes comme étant les techniques médicales de l’avenir et elles seront de plus en plus employées.

Malgré ces inconnues, et compte tenu des taux élevés de morbidité et de mortalité causés par la Covid 19 pour les populations à risque, la vaccination de ces dernières s’impose absolument. Les risques de complications graves ou de décès pour les sujets atteints de formes sévères de Covid 19 sont infiniment supérieurs aux (relativement faibles) risques d’effets indésirables en cas de vaccination. De même, les graves conséquences d’un développement spontané de l’épidémie jusqu’au moment où une immunité collective serait atteinte dépassent de loin les problèmes que peut poser une vaccination massive qui devrait permettre d’atteindre cette immunité collective plus rapidement et avec beaucoup moins de décès. Autrement, dit, au niveau de chaque individu comme au niveau de la collectivité, la vaccination est éminemment souhaitable, et partout dans le monde, Le rapport avantages/risques penche largement en sa faveur.

Même si l’Afrique a été relativement épargnée par rapport au reste du monde, elle n’est pas à l’abri d’une seconde vague plus grave (comme c’est déjà le cas au Maroc ou au Mali). Même si sa population est plus jeune et donc moins susceptible de développer des formes graves de la maladie, les sujets à risque sont nombreux (forte prévalence de l’hypertension et du diabète), et les personnes âgées sont très exposées, d’autant plus que les gestes barrières sont en général très peu respectés. Certes il y a eu moins de décès en Afrique qu’en Europe (les chiffrés déclarés étant toutefois très en dessous de la réalité), mais ce sont des morts de trop, dont le nombre va s’accroître alors qu’elles sont évitables dans l’avenir grâce aux vaccins.  Certes le paludisme tue beaucoup plus que la Covid 19, mais ce n’est pas une raison pour abandonner à leur sort les victimes potentielles de cette dernière.

Les vaccins qui vont être diffusés prochainement en Afrique sont les mêmes que ceux qui le sont dans les pays développés. Deux filières sont en train d’être mises en place. L’une d’entre elles, Covax, regroupe des institutions internationales (avec en tête le fonds Gavi, l’OMS, l’Union européenne, et la fondation Bill Gates) et commence dès maintenant à acheter le vaccin anglais pour le distribuer sous une forme subventionnée (en partie ou en totalité) aux systèmes de santé en Afrique (le vaccin anglais a les avantages de pouvoir être conservé à température ambiante et d’être le moins cher). D’autres vaccins vont en outre être bientôt disponibles, chacun avec des caractéristiques spécifiques. D’un autre côté, la Chine et la Russie commencent à mettre leurs vaccins à disposition de pays africains selon des modalités encore non stabilisées. L’agenda géopolitique va se mêler à l’agenda sanitaire. Mais, quoi qu’il en soit, un accès rapide et gratuit de toutes les populations africaines à des vaccins de qualité contre la Covid 19 est encore très loin d’être garanti : c’est une cause qu’il faut promouvoir sans cesse.

La vaccination en Afrique ne sera pas tâche facile. Les systèmes de santé sont fragiles et insuffisamment équipés, le monde rural est souvent enclavé, il faudra vacciner les adultes alors que les dispositifs existants ciblent surtout les enfants, les populations se méfient des consignes officielles et évitent les formations sanitaires, non sans raisons, la Covid 19 n’est pas une peur du quotidien (moins virulente en général, confondue avec les nombreuses affections respiratoires aigües, fortement sous-détectée faute de tests massifs, souvent asymptomatique, elle reste encore perçue – à tort – comme une maladie de l’Occident).

Seuls les Ministères de la santé des pays concernés sont à même de définir une stratégie vaccinale adaptée aux contextes locaux. Il y a plusieurs voies possibles, plusieurs options, qui ne peuvent être imposées de l’extérieur. L’appui international (financier et technique) est certes indispensable, mais ne doit en aucun cas se substituer aux compétences nationales qu’il faut au contraire développer. De même la pharmacovigilance (phase 4) doit être l’affaire des systèmes de santé locaux, et il faut favoriser le lancement de recherches vaccinales rigoureuses par des laboratoires locaux et le suivi de la lutte contre l’épidémie par des chercheurs africains en sciences sociales. Vaccination, pharmacovigilance, recherche : il ne faut pas y voir une captation des ressources au profit de la Covid 19, mais au contraire une opportunité, à travers la lutte contre cette épidémie, de renforcer les systèmes de santé dans l’ensemble de leurs missions et pour lutter contre toutes les pathologies. L’objectif doit être de permettre une synergie des vaccinations plutôt qu’une concurrence, en recherchant une amélioration de la qualité des soins préventifs comme curatifs.

Face aux peurs, face aux rumeurs, face aux hésitations, il faut absolument tenter de convaincre nos collègues et nos entourages des bénéfices de la vaccination, tant qu’aucun médicament ne sera disponible : elle va éviter de très nombreux décès. Il faut aussi rappeler tout ce que l’humanité doit (et ce que l’Afrique doit) aux vaccins. Fièvre jaune, rougeole, méningite, polio, choléra : combien de millions de vies épargnées ? Ne l’oublions pas !

Jean-Pierre OLIVIER de SARDAN
Chercheur au LASDEL, professeur associé à l’Université Abdou Moumouni (Niger)
Directeur de recherche émérite au Centre National de la Recherche Scientifique (France)

  1. Je remercie mes collègues qui m’ont fait bénéficier de leurs commentaires et suggestions sur une première version de ce texte : Aïssa Diarra, Alice Desclaux, Fred Eboko, Richard Fardon, Frédéric Le Marcis, Elisabeth Paul, Louis Pizzaro, Laurent Vida
  2. Les essais cliniques randomisés menés sur l’hydroxychloroquine ont démontré de façon incontestable l’absence d’effets thérapeutiques de cette molécule sur la Covid 19.